Il était une fois un frère et une sœur : Félix et Fanny. Tous deux étaient porteurs d’un nom prestigieux : Mendelssohn. Pour lui comme pour elle, la musique fut une passion ; ils lui consacrèrent leur existence. Dans la lumière pour Félix. Dans l’ombre de son frère pour Fanny...
Á 15 ans, Fanny, de quatre ans l’aînée de Félix, manifestait des dispositions exceptionnelles pour la musique. Interprète de talent et compositeur en devenir, elle était appelée à devenir la première grande dame de la musique allemande, une artiste de tout premier plan, à l’égal des Moscheles, Schumann ou Weber. Passionnée par l’exercice de son art, la jeune fille aspirait de tout son être, sinon à cette consécration, du moins à une carrière professionnelle. Une ambition qu’elle partageait avec son cadet Félix – alors âgé de 11 ans – qui montrait les mêmes étonnantes capacités créatrices que sa sœur. C’est alors que Fanny reçut de son père une terrible lettre au cours du mois de juillet 1820. En quelques mots empreints d’une pensée digne de Rousseau, le riche banquier Abraham Mendelssohn Bartholdy brisa les rêves de sa fille : « La musique deviendra peut-être un métier pour Félix, alors que pour toi elle doit rester seulement un agrément mais en aucun cas la base de ta vie et de tes actes. (...) Ta joie sincère devant les louanges dont bénéficie Félix démontre qu’à sa place tu en aurais mérité autant. Reste fidèle à ces sentiments et à cette conduite car ils sont féminins, et seul ce qui est féminin peut être un attrait pour ton sexe. »On ne discutait pas la volonté paternelle chez les Mendelssohn. Et c’est ainsi que Fanny, en plein essor créatif, fut définitivement écartée d’une carrière professionnelle que son talent exceptionnel laissait présager. Et cela d’autant plus qu’empêchée par son père, elle dut également subir par la suite la volonté de ce frère auquel elle voua toute sa vie une grande admiration mais qui ne fit rien pour la sortir du rôle d’auxiliaire auquel l’avait reléguée la volonté d’Abraham Mendelssohn. Un rôle subalterne auquel était alors vouées les femmes, tous milieux confondus, dans une Allemagne qui ne se départit de cette pesante discrimination qu’au lendemain de la 2e Guerre mondiale, après l’avoir parfois érigée jusqu’à la caricature, à l’image de la fameuse règle des trois K – « Kinder, Küche, Kirche » (les enfants, la cuisine, l’église) – qui connut son apogée sous le régime nazi.
Née en 1805 à Hambourg dans un milieu ouvert aux arts – sa mère était elle-même une bonne pianiste –, Fanny avait pourtant reçu, dans la ville bouillonnante de création qu’était alors Berlin où la famille s’était installée, une éducation musicale remarquable. Elle bénéficia en effet des mêmes professeurs que son frère Félix, notamment des cours de piano de Ludwig Berger et surtout de l’enseignement du compositeur et pédagogue Carl Friedrich Zelter, par ailleurs professeur de musique et ami personnel de Goethe. Malgré les dons remarquables de la jeune fille, et sans doute par une conviction personnelle alliée à la crainte de contrarier Abraham Mendelssohn, c’est le jeune Félix que Zelter prit sous son aile protectrice pour le présenter à Goethe et, à 16 ans, lui mettre le pied à l’étrier de la notoriété.
Écartée de la voie qu’elle comptait suivre, Fanny ne s’éloigna pourtant pas de la musique pour laquelle elle garda un goût très marqué. Mieux : conformément au vœu de son père, elle se mit au service de son frère sans renoncer pour autant à composer mais sans espoir de publication. Un frère auquel Abraham Mendelssohn, convaincu par les témoignages élogieux que son fils suscitait, n’hésita pas à louer, dès l’âge de 17 ans, un orchestre pour tester ses œuvres ! Dès lors, Fanny devint une sorte d’imprésario pour ce frère surdoué, organisant les concerts et les tournées, et réunissant autour de Félix dans la maison familiale les compositeurs de renom comme Gounod, Liszt, Clara et Robert Schumann.
Le mariage de Fanny avec le peintre Wilhelm Hensel en 1829 – elle était âgée de 24 ans – ne la détourna pas de la musique. Bien au contraire, le mari de Fanny l’encourageait, et sans aucun doute eût-il été ravi qu’elle publiât des propres œuvres. Mais son frère s’y opposa avec fermeté, reprenant le flambeau de la volonté paternelle. Tout juste accepta-t-il de mêler 6 des lieders de Fanny à ses propres opus 8 et 9, preuve évidente qu’il les jugeait dignes d’y figurer. Á juste titre d’ailleurs comme le montra l’éloge fait par la reine Victoria à l’un de ces lieders, écrit de la main de... Fanny. Le comble dans cette absurde discrimination est que Félix éprouvait pour sa sœur une profonde affection qui ne se démentit jamais, mais son éducation et les préjugés sur le statut des femmes hérités de son père l’empêchèrent jusqu’au bout de lui donner la chance que son talent méritait.
Fanny Mendelssohn mourut à 42 ans, le 4 mai 1847, victime d’un accident vasculaire cérébral. Six mois plus tard, Félix, douloureusement chagriné par le décès de sa sœur, disparaissait à son tour dans les mêmes conditions après avoir écrit un dernier quatuor en hommage à cette sœur qu’il chérissait mais dont il avait largement contribué à stériliser l’élan créateur.
L’œuvre de Fanny, n’en comprend pas moins de 400 pièces, pour l’essentiel des lieders et des pièces pour le piano ou l’orgue, mais également de la musique de chambre, des cantates et un oratorio. Seul un petit nombre de ces œuvres figure dans la discographie, un oubli qui sera probablement réparé dans les années à venir. Ce ne serait que justice si l’on en croit Charles Gounod qui, à la mort de son amie Fanny déclara : « Madame Hensel a été une musicienne inoubliable, une excellente pianiste et une femme d’une intelligence supérieure. Elle était petite et mince, mais le feu qui brûlait dans ses yeux révélait une extraordinaire énergie. Comme compositeur, elle a été exceptionnellement douée. »
Loin des carcans sociaux discriminateurs de notre planète, peut-être Fanny Mendelssohn compose-t-elle désormais pour les chœurs célestes à égalité avec ce frère qu’elle a tant aimé et à la carrière duquel elle s’est sacrifiée ?
Quelques rares femmes-compositeur s’étaient déjà illustrées en Europe, et cela dès le 17e siècle pour Barbara Strozzi et Francesca Caccini en Italie, ainsi qu’Élisabeth Jacquet de la Guerre en France. Mais en Allemagne, aucune femme n’avait encore réussi à inscrire son nom dans le gotha des musiciens germaniques. Fanny Mendelssohn et Clara Schumann seront les premières, mais également les seules du 19e siècle, à connaître une certaine notoriété, imitées en France par Louise Farrenc et Cécile Chaminade.
Source: Agoravox
Nocturne en sol mineur:
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