Lu dans "Le roman du piano" de Dieter Hildebrandt:
"En 1903, le musicologue allemand Gustav Kühl fait une passionnante découverte lors d'un séjour en Amérique. Visitant une des petites îles situées au large de la Géorgie, il assiste à une fête costumée où se produisent, entre autres, deux musiciens noirs. Il entend une musique qu'il n'a encore jamais entendue, et qui tout à la fois l'irrite et le fascine.
Et qu'il décrit peu après pour la revue Melos:
"Mais en dépit de ma volonté, mes sens furent captivés par une musique qui semblait produite par une petite armée de diables à ma gauche. Je ne pus d'abord du tout comprendre comment qui que ce soit pouvait danser ne serait-ce qu'un pas sur cette accumulation de sons bruyants et irréguliers, et il m'était encore plus difficile de saisir comment on pouvait produire un bruit si compliqué, qui à mon avis n'avait rien de musical. (...)
Un nègre musclé aux cheveux courts, jouant des bras et des coudes, tirait des doubles croches d'un piano totalement déglingué, avec une facilité et une adresse que tous les pianistes voudraient posséder."
Il arrive aux oreilles européennes quelque chose de véritablement inouï: elles deviennent des organes de second plan. L'homme perçoit la nouvelle musique avec son corps tout entier:
"Les accents qui reviennent et se succèdent sans cesse sur les temps faibles, ainsi que leur prolongation contre nature, imposent au corps une sorte de contrainte rythmique absolument irrésistibleet qui se fait sentir avant même que les oreilles aient identifié la mesure et la structure rythmique. (...)
Je sentis soudain que mes jambes étaient dans un état de grande agitation. Elles se croisaient comme si elles étaient chargées d'électricité et montraient une forte et fâcheuse tendance à m'arracher de ma chaise. C'est énergique, physique, indépendant, comme si on avait affaire à un cheval rétif absolument impossible à maîtriser."
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